LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407999 du 9 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Amar H. par Me Yann Le Viavant, avocat au barreau de Valence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-643 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « dispositions combinées du 2° du I de l'article 109 du code général des impôts, du 2° du 7 de l'article 158 du même code et du c du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ».
Il a également été saisi le 24 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 408725 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Dominique L. par la SCP Nataf et Planchat, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-650 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « dispositions combinées du 7 de l'article 158 du code général des impôts, en tant qu'elles visent au 2° les bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis du même code, et du c) du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers ;
- la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-610 QPC du 10 février 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Amar H. par Me Le Viavant, enregistrées les 30 mai et 6 juin 2017 ;
- les observations présentées pour M. Dominique L. par la SCP Nataf et Planchat, enregistrées les 29 mai et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 2 et 15 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Le Viavant et Éric Planchat, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La question posée pour M. Amar H. a été soulevée à l'occasion d'un litige portant sur des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juillet 1965 mentionnée ci-dessus, du 2° du 7 de l'article 158 du même code et du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus. La question posée pour M. Dominique L. a été soulevée lors d'un recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une instruction administrative du 12 septembre 2012 portant sur l'application de ces dispositions. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 7 de l'article 158 dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus et du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 16 août 2012 mentionnée ci-dessus.
3. Le 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit que sont considérées comme des revenus distribués :« Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ».
4. L'article 158 du code général des impôts, dans cette rédaction, fixe les règles de détermination des différentes catégories de revenus entrant dans la composition du revenu net global soumis à l'impôt sur le revenu. Son 7 dispose que le montant de certains revenus et charges est, pour le calcul de cet impôt, multiplié par 1,25. Selon le 2° de ce 7, ces dispositions s'appliquent :« Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ».
5. Le paragraphe I de l'article L. 136-6 du code la sécurité sociale, dans ces différentes rédactions, prévoit que, pour leur assujettissement à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine, certains revenus sont déterminés comme en matière d'impôt sur le revenu. Selon le c de ce paragraphe I, il en va ainsi : « Des revenus de capitaux mobiliers ».
6. Les requérants contestent l'assujettissement aux contributions sociales, sur une assiette majorée de 25 %, des bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis du code général des impôts et des revenus distribués mentionnés à l'article 109 du même code résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice. Selon eux, cette majoration serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
7. Par conséquent, les questions prioritaires de constitutionnalité portent sur le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions résultant des lois des 29 décembre 2010 et 16 août 2012.
- Sur la recevabilité :
8. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
9. Les dispositions contestées soumettent les revenus de capitaux mobiliers à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine et en définissent l'assiette. La même assiette est retenue pour la soumission de ces revenus aux autres contributions sociales régies par des dispositions faisant référence, directement ou indirectement, au paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
10. Ces dispositions renvoient par ailleurs, pour la définition de l'assiette de ces contributions sociales, au « montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu » perçu sur les revenus de capitaux mobiliers. En application du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, les revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, les bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et les revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice, font l'objet d'une assiette majorée : pour le calcul de l'impôt sur le revenu comme pour celui des contributions sociales, le montant de ces revenus est multiplié par 1,25.
11. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus dans sa décision du 10 février 2017 mentionnée ci-dessus. Il les a déclarées conformes à la Constitution sous réserve que ces dispositions ne soient pas interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même code. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les requérants dans les présentes questions prioritaires de constitutionnalité.
12. Toutefois, le Conseil d'État a saisi le Conseil constitutionnel des présentes questions prioritaires de constitutionnalité au motif que la réserve d'interprétation énoncée dans la décision du 10 février 2017 ne s'applique pas pour l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ainsi qu'à l'article 123 bis du code général des impôts alors même que les motifs de cette décision devraient conduire à une telle application. Cette difficulté dans la détermination du champ d'application d'une réserve d'interprétation, qui affecte la portée de la disposition législative critiquée, constitue un changement des circonstances justifiant, en l'espèce, le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
13. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
14. En premier lieu, les dispositions contestées ont pour effet d'assujettir le contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il n'a pas disposé.
15. En second lieu, la majoration de l'assiette prévue au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts a été instituée par l'article 76 de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus en contrepartie de la baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu, concomitante à la suppression et à l'intégration dans ce barème de l'abattement de 20 % dont bénéficiaient certains redevables de cet impôt, afin de maintenir un niveau d'imposition équivalent.
16. Toutefois, il ressort des travaux préparatoires de cette dernière loi que, pour l'établissement des contributions sociales, cette majoration de l'assiette des revenus en cause n'est justifiée ni par une telle contrepartie, ni par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, ni par aucun autre motif.
17. Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 9 à 12 de la décision du 10 février 2017, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les bénéfices ou revenus mentionnés au 2° de ce même 7. Sous cette réserve, le grief tiré de la violation de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
18. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 17, le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 et dans celle résultant de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 7 juillet 2017.